Rencontre avec M. Michel Rouger (Chef de Projet du Musée de la Grande Guerre depuis juillet 2006) et Jean-Pierre Verney (Conseiller scientifique et historique) dont la collection est à l’origine du Musée de la Grande Guerre. Deux hommes passionnés par l’élaboration et la mise en place du futur Musée de la Grande Guerre au Pays de Meaux (inauguration prévue le 11 novembre 2011), un musée résolument moderne.
Comment en êtes-vous arrivé à collectionner ces 50 000 objets ?
Jean-Pierre Verney : Ce n’est pas par accident ! Tout cela s’est mis en place comme une sorte de puzzle qui a démarré il y a 65 ans à ma naissance. Au départ, ma mère qui est polonaise arrive en 1945 comme réfugiée ayant fui les hordes bolchéviques.
Elle épouse un français. Mes grands-parents paternels ont une petite location sur le Chemin des Dames. Dès 1 an, 2 ans…, je me retrouve en vacances sur une halte de pèlerins sur ce Chemin. C’est une sorte de buvette, restaurant, hôtel où les anciens combattants arrivaient. Ils se retrouvaient pour aller voir sur le champ de bataille de leur jeunesse, leurs misères, leurs copains, les morts, un paysage… De ce fait j’ai été très vite en contact avec ces hommes.
Influencé dès son enfance par la Grande Guerre
J’allais aussi au village de Chamouille. Au fond du jardin, il y avait des tombes avec des casques de soldats allemands métalliques. Je n’ai pas tout de suite pu savoir qu’il s’agissait dans ce cas de soldats de 39-45. J’ai été marqué par tout ce vécu, par d’autres images comme les champs d’obus, les murs avec les barbelés… Dès 7 ans, j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de la Première Guerre Mondiale. A 14 ans, j’avais déjà 1 500 livres sur le sujet.
En 1964, j’ai eu la chance d’être pris à Radio Luxembourg pour rencontrer un certain nombre d’anciens combattants célèbres comme le Général Vegan, Charles Vanel… en tout 50 personnes. Le soir, nous avions une heure en direct.
Après mon service militaire, je me suis rendu compte que lire ne me suffisait pas. Il fallait que j’ai l’objet pour le toucher, pour comprendre d’abord et après pour avoir envie d’en parler, d’expliquer. Ces objets m’ont permis de faire des livres, des expositions… Quarante ans après, j’arrive au bout de ce que je voulais faire.
Première exposition et premier projet de musée
Lors de mon entrée au Ministère des Anciens Combattants en 1981, et j’apprends que Mitterrand met en place une structure qui s’appelle la Commission Historique pour la Paix. Son premier projet, c’était les camps de concentration et la déportation au Trocadéro. A ce moment-là, j’ai proposé de faire un grand cycle d’expositions de 1984 à 1989 pour le 70ème anniversaire de la Première Guerre Mondiale, avec pour but au final (pour ma part) de faire un musée. J’ai fait les expositions et le musée n’a pas été construit. J’ai été très déçu !
En 2004, j’ai proposé à la ville de Meaux une exposition. En plus, je savais que M. Copé voulait quelque chose de grand alors qu’il ne me connaissait pas encore ! Le résultat c’était l’exposition : « 1914 : Partis pour un été ».
D’autres pays voulaient ma collection
Au cours de cette exposition, il a appris que les allemands (Musée de Berlin) et les américains (Musée de Boston) s’intéressaient à ma collection. Il est venu à la maison et en dix minutes il a décidé que le Musée se ferait à Meaux. Jean-François Copé n’a même pas regardé les collections. Dès qu’il a vu 1914, et il m’a juste demandé si j’avais pareil pour 15, 16, 17 et 18. J’ai répondu « oui » ! Il a donc donné son accord suite à cette discussion.
Pour l’anecdote en 1983, une de mes premières missions au Ministère des Anciens Combattants a été l’étude d’un musée sur 1914-1918 que voulait faire la ville de Meaux au même endroit. Ce rapport figure dans les archives du futur musée car je l’ai retrouvé.
Vous avez été convaincu de participer et céder votre collection au Musée ?
Jean-Pierre Verney : A partir du moment où j’ai trouvé une locomotive, moi je ne suis qu’un humble wagon ! En plus, il y a une légitimité à l’implantation d’un musée sur le secteur : Bataille de la Marne, Bataille de l’Ourcq, premiers coups de canon, les marocains qui tombent le 5 septembre à Chauconin… Le monument Américain aussi déjà présent sur le site. En plus, nous ne voulions pas faire un musée de la Bataille de la Marne, mais vraiment un musée de la Grande Guerre ! C’est le nom que ce sont octroyés les anciens combattants à partir de 1919, ils ne pouvaient pas savoir qu’il y en aurait une 2ème ! C’était « la Der des Ders » ou la « Grande Guerre ».
A partir, du moment où il a été décidé de faire un musée à vocation international comme je le souhaitais, il n’y avait aucune raison à ce que j’hésite à y participer.
Label Musée de France
Comment s’est mis en place le projet tel qu’il existe aujourd’hui ?
Jean-Pierre Verney : Très vite, un conseil scientifique a été mis en place. Un inventaire de la collection a été réalisée afin de se rapprocher des Musées de France et obtenir le label.
Très vite, nous avons obtenu le label, ce qui a nous a également permis d’obtenir la subvention qui est rattachée. Le conseil a continué à travailler sur un espace : comment peut-on parler de la guerre de 14-18 ? Comment proposer un musée différent et complémentaire des musées existants comme celui de la Grande Armée ou de Verdun ? Nous nous sommes rapidement rendu compte que la collection pouvait répondre à tout et que nous n’étions pas limités : la guerre de 14-18 c’est le passage du 19ème au 20ème siècle, une guerre industrielle, « vulgairement » c’est le passage du crottin au pétrole…
Après l’étude des différentes possibilités, le conseil scientifique a choisi un parcours simple d’une heure et demi. Celui-ci est donc une sorte de chronologie qui commence en 1871, c’est important sinon on ne peut pas comprendre, pour arriver à l’attentant de Sarajevo, l’attentat contre Jaurès, la mort de Jaurès… Tout ces enchaînements d’événements qui conduisent à la guerre.
Un conseil scientifique a travaillé sur le parcours
Le visiteur entre alors dans un grand espace qui présente l’armée du 19ème, les tranchées, les moyens de communication, les outils… Et à l’opposé dans ce même espace, il y a un espace 1918 qui est une sorte de miroir de 1914 : des armées très discrètes, les chevaux remplacés par les chars et les avions… Ensuite dans ce parcours, la visite ne s’arrête pas à la fin de 1918 mais se poursuit sur la présentation de « la Der des Ders »… jusqu’au 2 septembre 1939, le début de la 2ème Guerre Mondiale.
A côté de cela, le conseil a décidé des thèmes présents dans des salles en parallèles (tout en gardant une chronologie) : une guerre industrielle, la mobilisation de tous (femmes et enfants qui vont remplacer de suite les hommes partis sur le champ de bataille), sur la tranchée (vivre, dormir, survivre…), la mondialisation (31 nations présentes)… Une petite dizaine d’espaces où le visiteur peut rester toute la journée.
Le Musée de la Grande Guerre n’est pas un musée militaire ?
Jean-Pierre Verney : Même si l’on y trouve des éléments militaires, il y a aussi beaucoup d’objets du quotidien sur la société durant cette période. Tous les autres musées sont très militaires.
Michel Rouger : Tout à fait, nous sommes vraiment un musée d’histoire et de société. Nous sommes là pour montrer l’évolution des sociétés sur ces quatre années. L’idée fondamentale était aussi de s’appuyer sur l’idée de comment nous sommes passés du 19ème au 20ème siècle et de ce fait, ce n’est pas que montrer les bouleversements uniquement dans l’armée, mais aussi ceux du quotidien. Nous apprenons à l’école que le 20ème commence en 1914-1918 et là nous avons voulu le traduire dans la visite du musée.
Pouvez-vous me parler de la vocation internationale du musée ?
Michel Rouger : La force de la collection est que nous possédons la plupart des uniformes des pays belligérants. Donc d’office nous abordons l’aspect mondial du conflit. Il y a un espace consacré à la mondialisation. Il y a aussi un espace important consacré aux américains qui sont plus souvent associés à la seconde guerre.
Jean-Pierre Verney : Ils sont deux millions en 1918 ! Et trois millions près à venir, en comparaison la France : 1,5 millions difficilement à mettre en place.
Michel Rouger : Dans le positionnement et l’ambition du musée, nous voulons être au niveau des grands musées européens comme le Grand Musée Royal de Bruxelles, l’Imperial War Museum de Londres… Tous ces grands musées qui abordent la Grande Guerre. Essayer aussi de voir comment nous pouvons travailler ensemble. Nous avons déjà commencé à prêter des collections pour des expositions temporaires. L’année dernière, nous avons rencontré toutes les ambassades actuelles des pays belligérants de l’époque pour leur présenter le projet et leur proposer de travailler avec les institutions dans leurs pays sur des échanges, des partenariats culturels…
Un musée à vocation internationale
Par exemple, l’Ambassade de Suisse trouve intéressante que nous ayons un partenariat privilégié avec le Musée de la Croix-Rouge à Genève. Ce dernier possède tous les fichiers des prisonniers de 1914-1918. L’idée c’est que ce maillage mondial traduise notre volonté d’être un musée qui dépasse le cadre franco-français ou franco-germanique sur la Grande Guerre.
Jean-Pierre Verney : L’exemple de la Suisse n’est pas anodin. Aucun musée hormis le nôtre ne montre d’uniforme Suisse sur la Grande Guerre. Les suisses mobilisent le 2 août 1914 et démobilisent le 11 novembre 1918, petit Etat de 3,5 millions d’habitants, 350 000 soldats pendant quatre ans aux frontières, ils ont peur que la France et/ou l’Allemagne les envahissent. L’espionnage, les exilés, l’agence des prisonniers… Tout ce passe en Suisse. La Suisse a un rôle important ! De ce fait, nous allons essayer de le montrer dans pas mal d’uniforme, interpeller les gens. Personne ne pense aussi que le Portugal a fait la guerre de 14-18. Le Siam (ndlr aujourd’hui la Thaïlande), il y a 1 300 personnes issues de ce pays qui font la guerre en France…
De nombreux pays représentés au Musée
Michel Rouger : Sur les actions de communication que nous commençons à mener le positionnement est national et international. Au début les gens se disaient que nous faisions un musée « du coin » sur la Bataille de la Marne de 14-18 ! De notre côté depuis le début, nous nous positionnons à l’international. Les voyages presse qui se feront à l’ouverture sont d’ambition au moins européennes, il faut que nous parlions de nous en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni, en Italie et même aux Etats-Unis, en Australie, en Chine…
L’Ambassade de Chine nous suit car nous parlons des 150 000 chinois qui sont venus durant la Grande Guerre pour travailler. Notre site internet est en .eu (ndrl.eu pour Europe) ! Ce n’est pas innocent non plus.
Comment allez-vous « faire vivre » le musée au quotidien ?
Michel Rouger : Au-delà des 3 000 m² d’exposition permanente, nous avons l’exposition temporaire qui permet de renouveler l’intérêt du public, des médias… L’avantage, c’est que nous avons une thématique large ! Pour les 25 prochaines années, nous avons un programme d’expositions temporaires sans aucun problème ! Par exemple, nous pouvons imaginer une exposition d’art contemporain sur des artistes d’aujourd’hui qui abordent la Grande Guerre dans leurs œuvres. Mon souci est de comment faire venir au musée des personnes qui ont à la base à un apriori négatif sur un musée de la Grande Guerre et tout ce qui y est rattaché : l’image négative de la guerre, la Grande Guerre c’est la 1ère ou la 2ème ?…
Comment nous arrivons par les expositions temporaires, par l’auditorium de 110 places avec une programmation culturelle (spectacle de marionnettes pour enfants, films, musique…). Il y a une richesse de pouvoir offrir au public une diversité culturelle, historique… Et donc le faire venir. Par exemple en ce moment, nous réalisons une exposition « Les femmes dans la Grande Guerre » au Musée Bossuet (à Meaux) avec un spectacle de danse une fois par mois. Même si les gens qui sont venus pour voir à la base la danse, s’ils parcourent l’exposition, alors nous avons réussi notre travail !
Des animations tout au long de l’année
Tout au long de l’année en plus de l’exposition temporaire, il y aura des rendez-vous pour que les gens viennent au musée même pour une conférence, un spectacle, un film… L’idée c’est que le musée vive !
Pour les élus de l’agglomération (ndrl le Pays de Meaux étant le principal financeur du Musée), la volonté pédagogique de transmission de cette histoire et de ce patrimoine aux nouvelles générations est très importante. Nous savons que nous allons avoir un public scolaire très important que ce soit du département, de la région ou même national.
Jean-Pierre Verney : « L’intérêt » pour les scolaires, ce n’est pas que de voir des objets. Nous avons également du « gros » matériel comme par exemple des avions (prêtés par le Musée de l’Air), des camions…
Michel Rouger : Nous avons un mécène qui nous a offert un taxi de la Marne.
Comment a été conçue l’architecture du bâtiment ?
Michel Rouger : Nous avons fait un concours d’architectes, après avoir rédigé un cahier des charges. Nous avons eu 122 candidatures. Nous en avons sélectionné quatre qui ont eu trois mois pour plancher sur le projet. Parmi ces quatre, le jury a sélectionné à l’unanimité le projet de l’Atelier Lab de l’architecte Christophe Lab.
C’est un projet résolument contemporain. C’est celui qui répondait le mieux aux exigences en matière d’architecture du bâtiment et aussi au niveau du musée, pour le parcours scénographique, avec un parcours court et un parcours long et ses alvéoles. Il y a de la souplesse, si dans cinq ans, nous voulons modifier un espace. Cela est possible sans gêner le fonctionnement et le parcours du musée. Il a conservé également le lien entre le musée et le monument Américain.
Un musée contemporain
Le côté contemporain est important car nous sommes un musée de la Grande Guerre. Mais, c’est aussi un musée du 21ème siècle. Le parcours se termine en interpellant le visiteur sur les conséquences de la Grande Guerre sur le monde d’aujourd’hui.
Jean-Pierre Verney : Ce n’est pas le musée que j’espérais, c’est mieux (rires) ! Sérieusement, il n’y a pas d’équivalent.
L’équipe en place est composée de combien de personnes ?
Michel Rouger : Nous sommes aujourd’hui 14 personnes. Cela couvre notamment les postes allant de la régie des collections, le service du public et la visite guidée, le côté administratif, la communication, la mise en place de la boutique. Il nous reste à embaucher les postes d’agents d’accueil et le personnel de surveillance du musée. A terme, cela représentera environ 30 personnes.
Quel sera votre rôle une fois le musée ouvert en novembre 2011 ?
Jean-Pierre Verney : Ils auront un enfant à faire vivre, à agrandir, à entretenir… moi j’aurai terminé mon rôle… mais je serais là quand il y aura besoin, il aura sûrement des choses à dire sur la collection. Le but pour le musée sera de préparer les grandes commémorations pour le centenaire 1914-1918. C’est important pour le musée, cela va être sa montée en puissance. Il aura sa place dans ces grandes commémorations qui seront internationales !
De « laisser » cette collection, cela ne vous rend pas nostalgique ?
Jean-Pierre Verney : C’est un grand plaisir, je n’ai pas de souci, c’est ce que j’ai toujours voulu faire. C’est une question que l’on me pose toujours comme si j’étais un collectionneur, je n’ai jamais voulu devenir collectionneur. Toutefois je considère cette collection plus comme un outil avec lequel j’ai appris et cet outil je le transmets. Je vais garder une cinquantaine de livres, mes bibles, mais sinon tout doit venir ici dans ce musée.
Site : www.museedelagrandeguerre.eu